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Alice, l'ambitieuse et la romanesque

Extrait du chapitre III

 

" L’après-midi même, Alice s’isole de nouveau, un crayon à la main, et son carnet dans l’autre.  Lorsque son père s’apprête à reprendre le bateau pour rentrer à Cannes, le jour suivant, le prince Batista regarde Alice marcher encore une fois au milieu de son jardin. Depuis qu’il l’a rencontrée, Alice bouscule toutes les idées qu’il s’était fait de la gente féminine, de cet idéal véhiculé depuis des générations familiales, de sa mère, décédée trop tôt, parfaite aux yeux de tous, mais dont il n’a pas le souvenir. Alice a l’apparence d’une nymphe fragile, influençable à première vue. Or lorsqu’elle prend la parole et que ses yeux s’illuminent, toute la portée de ses connaissances et de sa réflexion se fait jour. Un discernement clairvoyant, issu d’une mûre et longue réflexion, une alliance entre sa raison et sa sensibilité naturelle. Cette jeune femme le fascine et l’apaise. Elle le bouscule et le galvanise tout à la fois. "

 

Alice, unique fille du comte Henri de Bordi (inspiré du non moins aventurier Henri de Bourbon-Parme), est élevée dans une famille unie par des valeurs fortes: l'héritage d'une longue lignée de princes et de ducs italiens et français, ainsi que la foi chrétienne (catholique et romaine). Ces aristocrates mènent néanmoins une vie très simple, jonchée par la joie des naissances de nombreux cousins et cousines, mais aussi par les souffrances. Les exils successifs et la maladie des enfants -lorsqu'ils arrivent...- rendent cette famille forte face aux bouleversements politiques de la Belle-Epoque. Leur patrimoine s'étendant dans toute l'Europe, les enfants parlent plusieurs langues et s'intéressent volontiers à l'Histoire de leurs nouvelles patries. En matière de politique, il n'est pas étonnant que le chef de la maison des Bourbon-Parme -le duc déchu Robert 1er- ai soutenu les régimes conservateurs et légitimistes (succession d'Espagne, parenté avec la famille de Habsbourg-Toscane).

 

Néanmoins, Alice n'est pas inspirée d'un personnage réel. Dans le roman, son père est un explorateur en mal de voyage qui fourmille de projets. Le négoce en vins dans lequel il se lance lui permet d'assouvir sa bougeotte. Son unique enfant, aussi précieux qu'un trésor, n'est pas un garçon, ce qui, pour l'époque, était une déception. Or il donne à sa fille une instruction aussi complète que possible, et la laisse poursuivre son désir de faire des études...C'était assez exceptionnel en 1913 !

Le goût de la jeune femme pour les Arts et sa recherche de la Beauté découlent de ses lectures culturelles et des voyages qu'elle a fait avec son père. Elle est habitée par une quête philosophique et spirituelle qu'elle souhaite partager, d'où sa volonté d'intégrer une école d'Art. Dans le récit, elle reçoit des cours de Sciences et de Mathématiques pour passer les épreuves du Baccalauréat. Là encore, je n'ai rien inventé, car la première femme française à passer l'examen n'est autre que Julie-Victoire Daubié ... en 1861 ! De même, le Prix de Rome n'accepte les candidatures féminines qu' à partir de 1903. En revanche, au sein de l'aristocratie, cela reste un fait assez rare pour une femme, car les jeunes filles intégraient très peu les écoles supérieures (malgré leurs connaissances, souvent poussées).

 

Fidèle à ses valeurs familiales, Alice n'en est pas moins une femme dénuée de raison. Sa réflexion et son désir d'émancipation dans la société ne sont pas la marque d'un rejet en bloc de ses origines, mais bien une évolution naturelle de ce que lui ont transmis ses parents. Comment pourrait-elle garder pour elle autant de connaissances ? Elle ne fait pas de politique non plus, elle est simplement confrontée de près à la scission des peuples et de leurs souverains, aux déchirements que la guerre provoquera sur les corps et dans les esprits. Son abandon auprès des blessés, et notamment auprès du capitaine Lonbois (so British !), la font sortir brutalement de son cocon quasiment bourgeois et bousculent une fois de plus sa vision du monde.

 

Je pourrai finir en disant que j'ai voulu faire de cette femme ravissante et cultivée une féministe d'après-guerre. Car elle possède tous les bagages pour devenir une femme indépendante: le savoir, la persévérance, l'estime de soi. Pour autant, elle choisit de s'abandonner, non pas pour dépendre des autres, mais purement pour leur rendre l'existence plus douce, et parce qu'elle se sent incroyablement heureuse de la faire. Ne reçoit d'ailleurs t-elle pas la meilleure récompense qu'elle aurait-pu espérer à la fin du roman ? (Spolier: ce n'est pas un bébé !!)

 

Et vous, qu'avez-vous pensé d'Alice ?

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